Je ne vous ai pas tout dit. En réalité, je ne vous ai rien dit, car ce qui m’anime ne se dit pas vraiment, il s’espère et il se vit.
Je vous ai quittés un jour par la force de la guerre et de ses aléas. Avec moi j’ai emporté vos peines et mes défauts, vos errements et mes combats, vos regards et mes larmes, vos mains et mon cœur. Vous êtes l’horizon de ma pensée, les visages de mon imaginaire, le théâtre où se battent les angoisses des membres de ma famille.
Je vous ai retrouvés fatigués, bouleversés, sidérés par la vitesse de l’histoire commune et des accidents personnels, par les déchirements des événements et des divorces, par la fuite en avant des tristesses et des rancœurs.
Je vous ai retrouvés comme comprimés par des pages plombées qui s’abattent, jour après jour, sur vos têtes, vos envies, vos vies et vos rêves.
Vous êtes là, pour moi, un peu hagards, emportés par les amalgames d’un pays qui vous donne et vous saigne, qui vous aime et qui vous triture, qui sème et qui arrache l’essence même de votre lendemain.
Dans le fond de vos yeux, j’ai vu. J’ai vu l’amour enchaîné d’une vie qui s’égrène, accrochée à ses espérances, amarrée à ses rêves, tournée vers les gloires passées d’un pays qui vit en même temps qu’il se meurt.
Sur des terres étrangères j’ai planté mon cœur de Libanais, et voilà que le fruit qui pousse ne ressemble pas à ce que vous êtes devenus.
Où sont passées l’unité et l’intégrité de la famille ? La fidélité des époux ? L’honnêteté dans les relations de vie et de travail ? Où sont passés le respect, la convivialité et la cordialité ? Où sont passées l’entraide, la politique saine et constructive, créative et altruiste ?
Enfants de mon pays, qu’êtes-vous devenus ?
À force de combattre, avez-vous perdu le sens de votre combat ?
Vous m’avez donné tout ce que je suis, mais vous n’êtes plus tout à fait ce que vous m’avez donné.
Des terres occidentales vous avez récupéré les penchants sensuels, artificiels, matériels et faussement modernes ; des terres orientales vous n’avez gardé que l’embrouille, le marchandage, les intrigues et les politiques archaïques.
Si le cèdre du Liban est beau, c’est uniquement parce que Dieu l’a créé ainsi.
Enfants de mon pays, je n’ai aucune leçon à vous donner, puisque moi je suis parti. Mais avec moi je vous ai emportés, et maintenant que je reviens, je ne vous reconnais plus.
En chacun de vous je perçois tour à tour une formidable énergie et un fatalisme désarmant, une force de vie et un penchant à l’autodestruction, une intelligence de l’au-delà et un étalage indécent des futilités et des artifices.
Peuple du Liban, ADN de l’humanité, tu es à la croisée des chemins ; de ton choix dépend le sort du pays entier, de la région, et même l’harmonie du monde. Moi qui suis proche et lointain, je te conjure de retrouver la voie de l’amour et de la prière.
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