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LE LIBAN N’EXISTE PAS

L’ORIENT LE JOUR 17/08/2018 

Ce n’est pas la peine de rédiger des articles, d’analyser, d’allégoriser, de s’émouvoir, ni même de faire de l’humour au sujet du Liban. Car le Liban n’existe pas.

Il y a des tribus qui y vivent, mais ce ne sont pas des citoyens du Liban. Ce sont les habitants d’un territoire géographique nommé Liban. Comment le Liban, en tant qu’État-nation, peut-il exister, alors qu’il y a autant de Liban qu’il y a de tribus ? 
Autant de cultures. Autant de frontières, artificiellement dessinées au fil des conflits. Autant de pays tuteurs. Autant de partis dirigeants. Autant d’identités autoproclamées. Autant de langues officielles. Autant de confessions, religieusement érigées en bannières.
Généralement, chaque tribu considère que le vrai Liban est le sien, que les autres tribus sont des traîtres envers le « vrai » Liban. C’est ainsi que chaque tribu justifie, sans sourciller, son allégeance aveugle (et par conséquent suicidaire) envers son leader. Lequel leader est systématiquement un sombre individu, issu d’une branche consanguine d’une dynastie régnante. Le genre d’homme qu’on aurait bien du mal à respecter en d’autres circonstances.
Pour bâtir une nation, il faut agir. On ne peut pas se contenter d’analyser, de critiquer, ou de s’anesthésier dans l’autodérision.


Cependant pour agir, il faut s’unir, et pour s’unir, il faut s’accorder autour d’un même objectif et, dans notre cas, autour d’une même conceptualisation du Liban : sur le plan historique, sur le plan socioculturel et sur le plan d’une communauté de destin. Or pour toutes les raisons citées, la définition commune du pays n’a jamais vu le jour. Voilà pourquoi le Liban n’existe pas et n’a aucune chance d’exister.

Alors c’est quoi ce Liban que les Libanais déclament à longueur d’articles dans les magazines, de tirades amoureuses sur Facebook, de vidéos bien léchées sur WhatsApp, de messages humoristiques sur Twitter, ou de photos rognées (pour ne pas montrer les poubelles) sur Instagram? 


Ce n’est rien d’autre qu’une drogue frelatée, une addiction coupable, qui sert à alimenter les fantasmes et apaiser les douleurs de ces tribus décimées et disséminées, juste pour leur permettre de supporter la réalité de leur inexistence en tant que peuple, en tant que patrie et en tant que nation.


Comment voulez-vous qu’un pays existe sans racines communes, sans destinée commune et sans vision commune ? 
Si les Libanais se transforment en citoyens exemplaires dans tous les pays du monde, sans jamais être capables de mener la moindre réforme dans leur propre pays, c’est très certainement parce que l’idéal national, un et commun, n’existe pas. 
Car au Liban, l’identité est floue, variable, aliénée, sujette aux amendements, selon la région, la religion et l’allégeance. Aucun ne connaît l’histoire, mais tous défendent leur version de l’histoire. 
À tel point que pour avoir la possibilité d’évoluer efficacement dans des repères lisibles, pour se sentir citoyen dans un système qui fonctionne, la quasi-totalité des Libanais éprouvent le besoin d’épouser une double, voire une triple nationalité.

Malheureusement, une fois rentrés chez eux, ils se rangent systématiquement dans le schéma archaïque, propre à leur tribu, et de ce fait, ils perdent toute efficience et font partie du décor.
Le Liban d’aujourd’hui n’est donc pas une nation, mais un catalogue de franchises, un pis-aller, un défouloir, une fatalité, une punchline, une vache à lait, une cour des miracles. Une façon d’exorciser sa propre inexistence.
L’utopie « Liban » explique la permanente schizophrénie dans laquelle vivent les « Libanais ». 
Cette utopie, qu’ils ont du mal à admettre, ils l’enfouissent dans leur inconscient. Tantôt la triste réalité émerge et déclenche de leur part une salve spasmodique de critiques envers le pays (le pays tel que conçu par leur tribu). Tantôt, en l’absence de solution possible entre tribus, ils transforment cette utopie en idéal. Ils idéalisent leurs mœurs et leurs « terroirs », chacun de son côté, comme un réflexe de survie, juste pour calmer la cruauté du quotidien. Juste pour oublier qu’ils n’ont pas véritablement de règles, de principes, ou de lois. Juste pour oublier qu’ils n’ont pas de pays.
Cela dure depuis si longtemps, que pour en finir, pour se débarrasser définitivement de leurs souffrances, ils gravent leur pathos dans le marbre, et de ce bordel organisé, ils font un art de vivre…

Published inLIBAN

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