Pourquoi les Libanais, dans leur majorité votante et active, ont-ils délaissé la religion au profit du confessionnalisme ?
Quelles évolutions, conscientes ou inconscientes, a connu le logiciel du Libanais pour qu’il devienne une sorte de Libanais « 2.0 », susceptible de voter pour un leader pourri et incapable de faire émerger de ses rangs une personnalité intègre et réformatrice ?
Comment la majorité agissante de la société libanaise s’est-elle retrouvée empêtrée dans une matrice tentaculaire et invalidante, rendant improbable toute perspective de refonte du pays ?
S’agit-il d’un virus contracté durant les années de guerre et qui aurait infecté le disque dur du plus grand nombre, touchant toutes les strates sociales, les confessions, et se transmettant aux générations suivantes ?
C’est comme si un logiciel malveillant – « malware » en anglais – s’était insidieusement installé dans la plateforme commune du Libanais « moderne ». Car le Libanais version 2.0 n’est pas authentiquement croyant, mais passablement sectaire. Il n’est pas mathématicien, mais calculateur ; il n’est pas pour l’union, mais pour la force ; il n’est pas pour le collectif, mais pour le superlatif. Il n’est pas pour l’humilité, mais pour le bling-bling.
Le Libanais 2.0 n’est pas pour la complémentarité, mais pour la surenchère ; il n’est pas pour l’équité, mais pour les quotas. Il n’est pas militant, il est milicien. Il n’est pas dans la tolérance, il est dans la vengeance.
Le Libanais 2.0 se démène pour occuper les postes les plus haut placés, et considère avec dédain les emplois peu qualifiés, pourtant indispensables à la remise sur pied du pays : ouvriers du bâtiment, emplois manuels, artisans plombiers ou électriciens, techniciens, métiers traditionnels, services à la personne, métiers sociaux…
Son racisme de classe est raffiné à un point tel que le Libanais 2.0 substitue les couches les plus basses de la société, indignes de son rang, par une population étrangère, issue d’immigrés de guerre ou « importée » du quart- monde, payée au lance-pierres, corvéable et jetable à merci.
Du haut de son inconscience désinvolte, le Libanais 2.0 s’inquiète du décor du dernier rooftop à la mode et se fiche de l’état délabré des canalisations souterraines.
Il se spécialise dans l’audit, alors que les infrastructures les plus rudimentaires ne fonctionnent même pas. Il vise des métiers d’advertising, de marketing, coaching, design ou art, alors que l’eau n’est pas potable, l’hygiène alimentaire est foireuse, les poubelles ne sont pas collectées, l’électricité n’est pas assurée, le bakchich pullule, la pollution empoisonne, les routes sont éventrées, les paysages sont saccagés, et l’urbanisme sauvage.
Très imaginatif, le Libanais 2.0 déplace les montagnes en les faisant disparaître…
Il est fier de ses festivals de musique et se fiche de l’instruction civique. Il est plutôt imperméable à l’éthique, mais tout à fait sensible à l’esthétique. Il se rend régulièrement au Salon du livre, ou autres manifestations culturelles, passant son temps autour du buffet à se bidonner sur des blagues de cul. Il n’est pas dans l’introspection, il est dans la jouissance.
Le Libanais 2.0 se gave avec frénésie d’émissions télé qui reproduisent fidèlement le modèle populaire occidental, se coupant au passage de son identité originelle, de sa culture libanaise, de ses racines orientales et de son histoire millénaire.
Le Libanais 2.0 exige les universités étrangères les plus prestigieuses pour ses enfants puis s’étonne qu’ils ne rentrent pas à la fin de leurs études, alors que cela s’explique immanquablement par le fait que leurs qualifications s’avèrent surdimensionnées par rapport aux domaines d’application que propose le pays et dont il a cruellement besoin.
Le Libanais 2.0 n’est pas pour le discours analytique mais pour l’invective spasmodique, il n’est pas pour le débat éclairé mais pour l’intimidation armée. Il n’est pas pour les bons offices mais pour les commissions substantielles. Il n’est pas pour le mérite mais pour la wasta.
Outrepasser une ligne de conduite ne l’interpelle même pas, mais il n’admet pas que l’on outrepasse la « ligne rouge ».
Le Libanais 2.0 n’est pas pour la prière et le jeûne, mais pour les miracles spectaculaires, les cérémonies religieuses fastueuses et les festins gargantuesques, ponctués de feux d’artifice…
Le Libanais 2.0 s’intègre formidablement dans tous les pays étrangers, non pas grâce à ses capacités inégalées d’adaptation, mais tout bonnement parce qu’il s’agit d’un opportuniste paresseux qui guette le moyen le plus facile d’obtenir ce qu’il veut. Il a bien compris que dans un pays où les lois sont scrupuleusement respectées, il sera plus simple de gagner sa vie en honnête homme. De retour chez lui, il n’a pas de mal à « se lâcher » et rentrer dans son costume de bricoleur, clientéliste, milicien, voire mafieux, car il faut bien garder son « standing ».
Déboussolé à l’intérieur de son âme, le Libanais 2.0 n’est pas citoyen par conviction mais par intérêt. Il est d’ailleurs très friand de passeports passe-partout.
Il ne crée pas, il imite et optimise pour rendre son affaire plus rentable. Il ne corrige pas les anomalies, il vit avec, les contourne puis les normalise…
Refoulant son angoisse liée à l’incertitude totale dans laquelle il vit, le Libanais 2.0 veut se rassurer en se prouvant à tout prix qu’il mène une vie normale, alors que rien n’est normal autour de lui.
Le Libanais 2.0 se promène tranquillement dans son pays où l’économie agonisante survit grâce à la perfusion de sommes colossales en provenance de pays étrangers. Cela ne l’empêche pas de critiquer avec entrain ces mêmes pays, quand il s’y rend en touriste hautain et snobinard. Il ne ramène pas tout à son pays, il ramène tout à lui…
Tout cela est dû au fait que le Libanais 2.0, dont l’étiquette première est sa religion, n’est en réalité pas un croyant et encore moins un pratiquant. Par conséquent, son aiguillon est inversé, le faisant progresser dans le mauvais sens…
La preuve la plus flagrante est sa capacité à se dévouer corps et âme au leader de sa confession, alors que celui-ci ne respecte en rien les fondamentaux de sa religion, quelle que soit celle-ci.
En usant de sa confession comme d’une arme de protection et en invoquant Dieu à tout bout de champ, c’est de l’enfer que le Libanais « dernier modèle » rapproche sa patrie un peu plus chaque jour…
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