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LE CÈDRE DU BILAN

L’ORIENT LE JOUR 12/09/2019

Il est assis dans son fauteuil éventré, au coin de la rue, sur les berges d’une flaque qui comble la crevasse d’un obus. Il se souvient, ou il rêve. Il ne sait plus…

Il était une fois un cèdre, un arbre de Dieu, planté dans le cœur de l’homme.

Il croit l’apercevoir dans les reflets de l’eau, troublée par le ruissellement des ordures, entassées non loin de là.

Ce cèdre, se disait-il, pointe vers le ciel où il puise sa splendeur, et étend ses branches à l’horizontale pour embrasser l’humanité. Il le devine mieux quand il songe au passé, ou bien quand il ferme les yeux.

Ce cèdre, voulu par Dieu, dépend des hommes. Malgré leurs convoitises, il a réussi à traverser les âges de l’humanité et les pages de la Bible. Il commande les arbres qui commandent la vie. Ses racines sont aussi profondes que la création. Son tronc remonte jusqu’à l’Éden et sa houppe chatouille l’Esprit.

À l’idée de ne plus pouvoir l’enlacer, il frissonne. Pourquoi le vent ne vient-il plus chanter dans ses branches ? Pourquoi les oiseaux multicolores l’ont-ils déserté ? Pourquoi la sève ne coule-t-elle plus en lui ? 

Il est nostalgique de son arbre, comme une mère faisant ses adieux à son enfant, comme un persécuté assoiffé de justice, comme un affamé qui rêve d’une miche de pain chaud.

Il est nostalgique de son arbre, comme un estropié en quête d’espaces verts, comme un insomniaque en quête de sommeil, comme un traumatisé en quête de ses souvenirs d’enfance.

Il est nostalgique de son arbre, comme un rescapé de guerre en quête d’un frère d’armes, comme un enfant maltraité en quête d’affection, comme un asthmatique en crise qui cherche un air pur.

Non loin de là, un chat squelettique, à moitié pelé, se moque, avec ses yeux grands écarquillés. Ses pupilles noires, parfaitement exorbitantes, lui rappellent que même la laideur possède son code de beauté.

L’obscurité n’a pas réussi à éteindre son humour. C’est d’ailleurs tout ce qui lui reste. Faute d’amour et de justice, il vit d’humour et d’immondices.

Soudain, un Hummer rutilant, au moteur rugissant, affichant des vitres noires et des contours monstrueux, le frôle à toute vitesse, éclaboussant son visage, le ramenant à la dure réalité : le cèdre qu’il aurait tellement voulu prendre dans ses bras n’existe désormais que sur le drapeau.

Son cher Cedrus Libani, qu’il croyait éternel, a été arraché, à la fin des temps, par des Homo Libanus abrutissimus.

Cette espèce de Libanais mutants a fini par venir à bout de son cèdre mille fois millénaire, tandis que d’autres Libanais comme lui, ceux qui avaient bordé l’arbre majestueux de rouge et de blanc, vivaient encore à l’ombre de ses feuillages…

Published inLIBAN

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