Le corps inerte, il retient ses paupières, étendu sur une moquette humectée par son sang qui fuit.
Il ne ressent ni douleur, ni haine.
Sa vie s’achève dans un lieu improbable, appelé Bataclan. Un endroit qu’il avait rejoint pour oublier ses tracasseries.
Étrangement, c’est au seuil de la mort qu’il se sent vivant.
Il voit les éclairs des mitraillettes, mais il n’entend plus le bruit.
Ces personnes qui tombent lentement devant ses yeux, le renvoient aux feuilles d’automne qu’il contemplait depuis sa fenêtre, quand il était gamin, s’interrogeant : « c’est donc ainsi ? faut-il inéluctablement que la vie s’arrête pour que la vie recommence ? »
Il ne connaît pas les personnes qui se trouvent là, il ne peut pas les secourir. Il a juste le temps de les aimer, alors qu’elles s’effondrent autour de lui.
De temps à autre, ses yeux distinguent une silhouette courbée qui rampe péniblement vers la sortie. Ses lèvres esquissent alors un sourire et son âme s’écrie: « respire pour moi un peu d’air frais l’ami ! »
Ses souvenirs, pourtant innombrables, tiennent devant ses yeux. Un par un, ils se décantent au fond de son être, dans toute leur force et dans leurs intimes faiblesses. Leur présence le réconforte. Il pense : « si mes souvenirs surgissent dans un moment aussi critique, c’est qu’ils ne disparaîtront jamais. D’ailleurs, pourquoi disparaîtraient-ils ? Ne vont-ils pas perdurer dans les joues roses de mon enfant, dans les bras tendres de ma chérie, dans les yeux lumineux de ma maman et dans le rire tonitruant de mes amis ?
Mon corps va disparaître, mais non la terre de France qui m’a vu naître et qui s’apprête à me recevoir.
Je pars en éclaireur, j’enjambe plus tôt que prévu la barrière du temps, emmenant avec moi l’espoir naissant de mes congénères, qui vont à nouveau réaliser l’importance de la vie et de ceux qui la défendent.
Je n’arrive pas à haïr mes assassins, car je n’arrive pas à comprendre ce qui les motive à agir ainsi. Le temps qui me reste est trop court. Je préfère avoir pitié d’eux. Je préfère que ma mort serve aux vivants, qu’ils comprennent enfin pourquoi et comment on en est arrivé là.
Je préfère pardonner, en espérant que ceux qui restent trouvent les solutions, qu’ils réussissent à désamorcer la haine aveugle qui agite mes assaillants, sans pour autant déchaîner leurs propres démons.
En ce jour, j’ai compris. La composante principale de cette force qui me quitte, n’est rien d’autre que l’amour qui rassemble les hommes. D’ailleurs, l’amour est le seul bagage que j’emporte. Seule l’énergie de cet amour me permettra, avec mes compagnons, d’affronter l’au-delà. »
Il se sent étonnamment bien, il va changer de lieu, emportant avec lui ce qu’il a de mieux, laissant derrière lui les parents et les amis, se disant dans le creux de la fosse : « pourvu que cette tragédie incite les hommes à bâtir un monde meilleur. »
Puis il ferme délicatement les yeux…
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