J’imagine un paradis où s’amuse la petite fille espiègle, aux bouclettes dorées, faisant virevolter le drapeau du Liban, comme son cerf-volant préféré…
Dans cet havre de paix où fleurissent les plantes de la vérité, les couleurs se reflètent dans ses pupilles satinées. Elle peut enfin s’amuser avec les grands, les vrais. Pas les grands salauds qui ont désintégré son identité.
J’imagine la jeune infirmière, ensevelie sur son lieu de travail et brutalement séparée des siens…
Je vois sa silhouette élégante, fière du devoir accompli, se promenant sur les nuages luminescents, sans le poids du quotidien, ni la peur du lendemain. Les créatures célestes la rassurent sur le sort de sa famille, qui résiste tant et plus, dans les cendres, les larmes et la poussière.
J’imagine le papy, enfin libéré de son invalidité et du spectre du coronavirus. Lui qui vivait isolé dans sa chambre, cloué à son fauteuil, a fini projeté contre les murs de son foyer, achevé au cœur même de son ultime refuge…
Je le vois gambader, léger et droit, entre les majestueux cèdres du paradis. Car au paradis, les cèdres du Liban prospèrent.
J’imagine le jeune handicapé, dont le corps n’a pas encore été retrouvé…
Il mange enfin à sa faim. Pour une fois il n’est pas seul. Dieu en personne lui tient compagnie, lui sourit, et le félicite pour sa générosité altière, son innocence première et son amour désintéressé.
J’imagine les deux frères sapeurs-pompiers, morts en essayant de contenir, non pas les flammes d’un accident domestique, mais la déflagration de la terreur et de la corruption…
Je les vois rejoindre les rêves de leur mère, et lui murmurer dans la nuit : rassure-toi maman, ils ont soufflé notre corps, mais notre esprit souffle pour toujours dans les blancs pâturages du paradis. Au fait, c’est bien notre étreinte que tu ressens dans ton sommeil.
J’imagine la mamie, pleine d’énergie, confectionnant une délicieuse « zouédé » à l’ange gardien de son petit-fils, pour qu’il lui rende visite et qu’il veille sur lui, maintenant qu’on lui a ôté à elle la possibilité de le faire.
J’imagine les scientifiques, les poètes, les artisans, les anonymes, les laissés-pour-compte, reproduisant au ciel, les décors, les instants et les enchantements qu’ils ont gardé de leur patrie, scandant des hymnes de paix, sifflotant joyeusement des refrains de Feyrouz…
J’imagine le paradis, peuplé d’une mosaïque lumineuse de Libanais, une ribambelle multicolore de personnes vaillantes, croyantes et aguerries, se reposant enfin, bâtissant au ciel le Liban qu’on leur a subtilisé…
J’imagine et je pleure…
Mes larmes sont les leurs…
Je le sais, car elles me régénèrent et me purifient…
Vous pouvez reposer en paix, car votre mémoire est éternelle :
Vous n’êtes pas morts pour rien.
Vous n’êtes pas morts pour rien.
Vous n’êtes pas morts pour rien.
C’est maintenant que commence votre légende, la légende d’un nouveau pays.
C’est promis.
Mario Abinader
Que c est triste et émouvant.
ON en a le coeur brisé….